Silent Way - une autre vision de l'apprentissage et quelques principes pour l’enseignement


Dans toute situation d’enseignement, quelle que soit la matière, Caleb Gattegno propose qu'il existe quelques principes de base qui, suivis scrupuleusement, mènent systématiquement à une grande qualité d’apprentissage. Ces principes sont très simples, faciles à comprendre, et ils sont basés sur des faits observables dans la vie de tous les jours - pour peu que l'on regarde... Le plus souvent, le simple bon sens nous dit qu’ils correspondent à la réalité que nous vivons tous.

 

Créé dans les années cinquante, Silent Way est le nom donné à l'approche pédagogique de Gattegno quand elle est appliquée à l'enseignement des langues étrangères. Le nom "Silent Way" se réfère au fait que l'enseignant reste silencieux pendant le cours. Il faut préciser tout de même que l'enseignant peut être "silencieux" sans être muet. Simplement, il ne donne jamais de modèle ni des réponses que les élèves peuvent trouver par eux-mêmes.

 

Voici quelques-uns de ces principes.

 

Principe N° 1 : Chez l'homme, seule la conscience est éducable

 

Ce principe constitue la base même de l'approche pédagogique de Gattegno : c'est de loin le plus important. Gattegno propose que tout apprentissage se fait par prises de conscience. Ceci est vrai pour les apprentissages effectués dans la salle de classe, mais aussi pour ceux que nous effectuons ailleurs dans la vie.

En effet, à chaque instant de la vie, et du début de celle-ci jusqu'à sa fin, c'est notre conscience qui nous permet d'avoir accès à l'univers qui nous entoure, mais aussi à celui de notre vie intérieure. Tous les faits que je sais être en moi sont des faits de conscience, issus de prises de conscience. Je m'arrête de taper ce texte un instant pour être présente au monde autour de moi et immédiatement j'entends les voitures dans la rue, certains bruits du voisinage. Je me remets à taper et, au lieu de porter ma présence sur le contenu de mon esprit, je la porte sur le contenu de mes oreilles. Aussitôt, j'entends le bruit que font les touches de mon clavier quand elles s'enfoncent jusqu'au fond. Je déplace de nouveau ma présence et j'entends une voiture démarrer pas très loin d'ici; un bus passe. Je porte ma présence vers l'intérieur et retrouve instantanément le goût d'une banane que j'ai mangée il y a une demi-heure, la sensation de mes pieds sur le sol, de mon pull qui me démange à un endroit précis où il me touche. Chacun de ces goûts, de ces sensations, de ces bruits, constitue un fait de conscience, car j'en suis devenue consciente. Il y a eu une "prise" de ma conscience, une prise de conscience.

 

La description suivante de l'apprentissage, faite en termes de prises de conscience, peut être appliquée à toute situation d'apprentissage, quel que soit l'âge de l'apprenant, quel que soit le cadre social ou culturel, quelle que soit la "matière" apprise.

 

Les quatre stades de l’apprentissage

Selon Caleb Gattegno, l'apprentissage a lieu en quatre stades.

 

Premier stade : Apprendre, c'est être confronté à l'inconnu

En premier lieu, nous devons nous rendre compte qu'il existe un inconnu à explorer. Ceci se fait par une seule prise de conscience, la prise de conscience fondamentale qu'il existe un domaine à explorer. Avant que je ne me rende compte de cela, aucun apprentissage ne peut avoir lieu.

 

Je suis assise à côté d'un lac et je vois passer une sorte de bateau à voile - sans le bateau ! Quelqu'un est debout sur une espèce de planche et il semble tenir la voile entre ses mains ! Je me dis "Wow ! Ça, c'est pour moi !. Je voudrais pouvoir faire ça". Jusqu'à ce que je me rende compte que ce sport existe, je ne peux pas commencer le processus d'apprentissage.

 

Deuxième stade : L'exploration de l'inconnu

Cette exploration se fait par prises de conscience. Une fois que commence le processus d'apprentissage, je dois explorer afin de comprendre ce qu'il faut faire. Justement parce que c'est un domaine inconnu je fais beaucoup d'erreurs, ce qui est normal. Ce sont ces erreurs qui me permettent de faire des progrès. J'observe ce qui se passe et en prends conscience, et je peux ajuster mes essais en fonction de ce que l'environnement me renvoie. C'est ce stade qui, il y a longtemps, a mené à la prise de conscience que nous apprenons par tâtonnements, par essais et erreurs.

 

Le processus d'apprentissage consiste en un va-et-vient entre :

a) la conscience de ce qui est, pour estimer quel essai tenter ici et maintenant et

b) un feed-back de l'environnement m'informant du résultat de l'essai que je viens de faire. Je me sers de ma conscience pour lire le feed-back que je viens d'obtenir et, ainsi, le processus est engagé. Le résultat de chaque essai et l'importance relative de chaque erreur me permettent de créer des hypothèses quant aux meilleures façons de continuer à explorer mon inconnu et je dirige les essais de manière à aboutir le plus vite possible.

 

Je monte sur la planche à voile et tombe immédiatement de l'autre côté, mais tout en tombant je me dis : "Tu t'es trop penchée. La prochaine fois, penche-toi moins."

 

Ce stade arrive à son terme quand je sais ce qu'il faut que je fasse, mais je ne peux le faire que si je suis entièrement présente à ce que je fais.

 

Troisième stade : Le temps de l'automatisation

Ce troisième stade est un stade de transition. Au début de ce stade, je peux faire ce que je veux faire seulement si je suis entièrement présente à l'acte. A force de pratique, à la fin de ce stade, j'arrive à la maîtrise, ce qui veut dire que le processus est automatisé. L'automatisation me libère de cet apprentissage et je peux me consacrer à la rencontre d'un nouvel inconnu, à un nouvel apprentissage

 

Quatrième stade : Le transfert

Pour le restant de ma vie, ce que j'ai appris est à disposition, si c'est utile, pour d'autres processus d'apprentissage dans lesquels je décide de m'engager. Quand j'ai appris à courir, j'ai utilisé la marche comme point de départ pour ce nouvel apprentissage. La marche et la course ont servi tous les deux quand j'ai entrepris l'apprentissage du ski de fond. Tous ce que j'ai appris contribue à tous mes apprentissage ultérieurs. Et ceci est vrai pour le restant de ma vie, à moins d'un accident.

 

Nous ne remarquons que rarement nos prises de conscience au moment où elles ont lieu parce que nous sommes beaucoup trop occupés à vivre notre vie, à rencontrer la nouveauté, et nous ne prenons pas le temps d'examiner le processus. Nous ne nous disons pas "Tiens, ça, c'était une prise de conscience". Il n'empêche que le processus de l'apprentissage consiste toujours en une série de prises de conscience qui sont facilement visibles, si toutefois nous prenons le temps de les regarder.

 

Dans la salle de classe, les choses se passent exactement de la même manière. L'apprentissage d'une langue étrangère suit les mêmes stades que l'apprentissage de la planche à voile. Les stades décrits ci-dessus sont présents à tout instant, et ils se manifestent dans tous les aspects de la langue: sons, mots, structures, rythme, intonation, mélodie… Donc, d'instant en instant, la situation est toujours complexe, car les quatre stades peuvent être présents ensemble dans une seule phrase - et même dans un seul mot pour peu que celui-ci soit complexe - dite par un seul étudiant. Ainsi, dans une classe d'étudiants français après une soixantaine d'heures d'anglais, quand un étudiant dit: "I have been living in Lille for twenty-three years", la situation pourrait se présenter de la manière suivante :

Le mot "Lille" pourrait être totalement automatisé, car la prononciation est pratiquement la même en anglais et en français.

L'étudiant se sert du mot "I" depuis de nombreuses heures, si bien que ce mot se trouve vraisemblablement vers la fin du stade 3, ou peut-être déjà au stade 4, totalement automatisé, si notre étudiant est doué.

Le mot "live" est en circulation depuis longtemps et peut se trouver vers la fin du stade 2 ou en stade 3 ou, pour certains, déjà au stade 4.

Le mot "twenty" est probablement automatisé quant à sa prononciation, mais ne se présente pas encore spontanément quand il le faut -nous savons tous combien il est difficile de compter spontanément dans une langue étrangère. Pour le mot "three", par contre, il est probable que la prononciation demande un niveau élevé de présence -stade 2- alors que le mot pourrait fort bien se présenter facilement quand il le faut, signe que, de ce point de vue, il a atteint le stade 4.

La construction "has been + -ing" est toute nouvelle; elle date d'il y a quelques secondes et appartient au stade 1 -l'étudiant est sur le point de se rendre compte, ou vient juste de le faire, qu'il y a un nouveau domaine à explorer.

 

Par conséquent...

Le rôle de l'enseignant dans ce monde de prises de conscience n'est pas d'informer les étudiants de l'existance de ceci ou cela, mais de les mener à faire leurs propres découvertes en se servant de leur conscience.

 

Puisque l'apprentissage ne peut commencer qu'au moment où l'étudiant prend conscience d'un nouveau domaine d'investigation -le premier stade-, le rôle de l'enseignant est de provoquer autant de prises de conscience de ce genre que possible. L'enseignant doit travailler de telle façon que les élèves rencontrent des domaines d'expérimentation puis il doit les aider dans leurs investigations.

 

Puisque l'apprentissage fonctionne par le système de feed-back mentionné ci-dessus,  -deuxième stade- le rôle de l'enseignant est de fournir aux étudiants un style de classe dans laquelle ils peuvent faire leurs essais en toute liberté, tout en recevant le feed-back indispensable qui leur permet d'ajuster la suite de leurs essais en connaissance de cause. Ainsi, ils peuvent construire leurs critères pour les différentes utilisations de la langue. Et puisque les élèves ne peuvent construire des critères qu'en ayant conscience, à chaque instant, de ce qui est possible et de ce qui ne l'est pas, le rôle de l'enseignant est de faire en sorte que les élèves sachent toujours si ce qu'ils disent est en adéquation avec les conventions de la langue. Chaque fois que l'enseignant néglige de fournir un feed-back à ses élèves, il empêche ses élèves d'établir les critères dont ils ont besoin pour savoir comment fonctionne la langue, et donc de faire des progrès. Le rôle de l'enseignant est de créer un environnement dans lequel beaucoup de prises de conscience du type stade 2 puissent avoir lieu dans le temps le plus court possible.

 

Une fois l'enseignant conscient des stades de l'apprentissage, il observe constamment la production de ses élèves pour être certain que tout ce qui est dit, et qui est en train de s'automatiser, est conforme à la langue. Si ce n'est pas exact, il importe d'y attirer l'attention de l'élève en question - cela revient à le ramener au stade 2 de l'apprentissage - afin d'éviter la fossilisation de l'erreur.

 

Il va de soit également que nos élèves ne sont en train d'apprendre que s'ils sont en train de faire face à ce qui leur est inconnu et d'en prendre conscience.

 

Petit test pour enseignants : En une heure de cours, combien de fois cherchez-vous à provoquer des prises de conscience? Plusieurs centaines?

 

Principe N° 2 : Je ne peux apprendre que si je suis présente à ce que j'apprends

 

Je peux reconnaître où j'en suis par rapport à chacun des quatre stades en examinant ce que je fais avec ma présence.

 

La première prise de conscience d'un inconnu prend la forme d'une focalisation de ma présence. Pendant le deuxième stade, je suis activement engagée dans l'exploration du problème, et ma présence est entièrement consacrée à ce que je cherche à comprendre. Je ne peux pas regarder les montagnes pendant que j'apprends la planche à voile. Je suis trop occupée avec ma planche.

 

Le troisième stade se caractérise par une présence de plus en plus intermittente au fur et à mesure que je fais des progrès dans le domaine. Pendant le troisième stade, je deviens plus libre de regarder autour de moi à cause du processus d'automatisation. A la fin de ce stade, je peux passer la journée à faire de la planche à voile sans me préoccuper de la manière d'utiliser la planche. Je suis présente au vent dans mes cheveux, au soleil, à la beauté du lac. Alors je passe à d'autres expériences...

 

Le quatrième stade peut être vu à l'oeuvre dans notre manière d'aborder tout nouvel apprentissage. Je suis le résultat de tous mes anciens apprentissages, et tous sont disponibles et contribuent là où c'est utile à cet nouvel apprentissage.

 

Mais surtout...

La motivation est également une fonction de la présence fournie par l'élève. L'intérêt que les êtres humains montrent pour leurs passe-temps provient du fait que n'importe quel passe-temps requiert la présence soutenue de la personne qui vit l'expérience. Que nous nous lançions dans la lecture d'un bon livre, dans la collection de timbres ou dans l'escalade d'une montagne en hiver, nous sommes pleinement présents quand nous nous occupons de notre passe-temps. Nous ne pouvons pas manquer de constater également que nous pouvons rester profondément impliqués dans les choses les plus extraordinaires si nous sommes poussés par notre intérêt. L'origine de la motivation se trouve dans la présence.

 

Si on veut créer une classe dans laquelle les élèves sont présents (et donc motivés) à chaque instant, des défis constants et bien mesurés sont bien plus utiles que des amusements. Le défi le plus difficile mais également le plus utile est, bien sûr, de parler la langue.

 

Petit test pour enseignants : vous arrive-t-il d'avoir l'impression que plus vous cherchez à intéresser vos étudiants, moins vous y parvenez ? Pensez-vous quelquefois que vos étudiants manquent de motivation, ou de présence ?

 

Principe N° 3 : Les connaissances ne deviennent jamais spontanément des savoir-faire

 

Ceci est évident si on pense au piano ou au patinage artistique. La lecture de "Le patinage en 10 leçons" n'a jamais fait de quelqu'un un patineur. Pour cela, les patins sont absolument nécessaire. L'apprenant doit, absolument, passer le temps nécessaire à patiner. C'est vrai aussi pour l'apprentissage du piano. Il est nécessaire de passer beaucoup de temps à jouer. Mais c'est vrai également de l'apprentissage d'une langue. L'apprentissage des règles de grammaire n'a jamais fait d'un apprenant un "parleur de la langue". Il n'y a que la pratique qui produise cet effet.

 

Les connaissances sont toujours produites par un processus dans lequel quelqu'un qui "sait faire" examine ce qu'il sait faire et le décrit avec une clarté suffisante pour que ceci devienne connaissance, stocké dans des articles ou des livres dans des bibliothèques. Les savoir-faire peuvent être décortiqués afin de produire des connaissances, mais les connaissances ne produisent pas de savoir-faire. Seule la pratique produit des savoir-faire.

 

Par conséquent...

Puisqu'apprendre un savoir-faire requiert de la pratique, l'enseignant doit accorder tout le temps nécessaire pour la pratique - stade 3. En fait, cela implique le maintien d'un contrôle rigoureux de la qualité du langage qu'utilisent les étudiants, en rapport avec le niveau de la classe. Pratiquer la langue ressemble à "faire ses gammes" en musique. Pour apprendre à parler une langue, il ne suffit pas de passer des heures à la parler ou à communiquer. Ce n'est pas assez focalisé pour être utile aux élèves, puisqu'ils ont besoin d'un feed-back constant quant à la qualité et l'adéquation de ce qu'ils disent. Sans feed-back de l'environnement - de ses interlocuteurs -, les étudiants ne peuvent pas construire des critères de justesse.

 

Il est inutile, et même néfaste, d'enseigner la grammaire. Le faire produit des connaissances mais pas de savoir-faire, qui est dans ce cas un "savoir-parler-la-langue".

 

Petit test pour enseignants : Vous arrive-t-il de donner des explications à vos élèves ?

 

Principe N° 4 : On n'apprend pas par imitation

 

Quand j'étais jeune, j'ai appris à marcher sur un fil. Imaginez que j'installe un fil entre le toit de ce batiment-ci et celui de l'autre la-bas, et que je vous dise, à vous lecteur, "Allez, on y va. Il suffit de faire comme moi." L'essayeriez-vous? Bien sûr que non, car vous savez que vous ne pouvez pas m'imiter dans ce domaine. Vous n'avez pas développé la sensibilité à votre centre de gravité, la puissance musculaire dans vos pieds et votre abdomen, et tous les autres détails techniques qui vous permettraient de le faire.

 

C'est un exemple extrême, mais la réflexion montre que, en toutes circonstances sans exception, il n'est possible d'imiter que ce que l'on sait déjà faire. Si les élèves ne possèdent pas déjà le geste, ils ne peuvent pas imiter quelqu'un d'autre qui le fait. Ils doivent d'abord construire le savoir-faire. Si l'imitation faisait partie du processus d'apprentissage, nous serions tous des champions de toutes les disciplines qui nous attirent. "Regarde simplement et fais".

 

L'imitation existe, bien sûr, mais si quelqu'un imite, il n'est pas au contact de l'inconnu. Il utilise des savoir-faire qui sont déjà en place.

 

Par conséquent...

Ce n'est pas la peine de donner un modèle aux élèves. S'ils peuvent imiter, ils font ce qu'ils savent déjà faire. S'ils ne le peuvent pas, l'apprentissage doit avoir lieu.

 

Petit encart...

Comment alors apprend-on des sons totalement nouveaux?

Voici un exemple de la manière dont on apprend un son nouveau. En premier lieu, l'apprentissage d'un son nouveau demande de l'étudiant qu'il se rende compte qu'il existe, de fait, un son nouveau. Une fois qu'il s'en est rendu compte, il peut passer au stade 2 en essayant de créer ce son. Ici, il travaille dans le système de double feed-back décrit ci-dessus. Dans le cas dont il s'agit ici, il travaille avec deux systèmes indépendants mais étroitement liés, l'appareil vocal et l'oreille. De ces deux systèmes, seul le premier peut être contrôlé de façon volontaire, car tous les muscles de l'oreille sont des muscles involontaires. Puisque l'étudiant peut contrôler le système volontaire, sa bouche, il peut produire un son qu'il devine être le plus près possible de celui qu'il vise. Il entend ce son avec son oreille. Puisqu'il l'a produit avec sa propre bouche, il sait que, du point de vue musculaire, sa bouche a été utilisée de telle ou telle façon, nouvelle et étrange et, par conséquent, il sait qu'il doit chercher à entendre un son qui diffère de ce qu'il entend d'habitude. Il peut vraisemblablement prédire, au moins en partie, de quelle manière ce son différera de ceux qu'il produit le plus souvent. En ayant cette démarche, il parle avec l'intention délibérée d'entendre ce son inhabituel qu'il vient de produire. C'est le processus que nous utilisons tous pour produire de nouveaux sons. Une fois que l'étudiant est arrivé à produire le son d'une manière qui le satisfait, il doit le pratiquer dans des contextes et des situations variés jusqu'à ce qu'il soit complètement à l'aise avec ce son. Ainsi, il atteint le stade 4, la production du son devient complètement automatisée et le processus d'apprentissage en est terminé.

 

Principe N° 5 : Notre mémoire est notre organe de l'oubli, et elle est très efficace

 

C'est notre mémoire qui débarrasse notre système de toutes les choses dont nous n'avons pas besoin, tout ce qui nous encombrerait si nous le gardions.

 

Du point de vue de l'économie de notre énergie personnelle, les apprentissages peuvent être de deux types, selon la quantité d'énergie que nous devons dépenser pour les effectuer. Certains apprentissages coûtent extrêmement cher en énergie, alors que d'autres sont gratuits de ce point de vue.

 

Chaque fois que l'on doit mémoriser des faits arbitraires, on est obligé de dépenser sa propre énergie pour le faire, car on doit "coller" les faits arbitraires dans sa mémoire. Le coût énergétique peut en être élevé, surtout si le sujet n'intéresse pas. Beaucoup d'apprentissages scolaires sont de cette nature -les dates d'histoire, les tonnages de blé récoltés en tel endroit de la terre en telle année, les noms de rivières ou de chaînes de montagnes, les formules mathématiques ou les théorèmes relèvent tous de ce genre d'apprentissage. Toute cette information est arbitraire, du moins pour les enfants.

 

Mais l'école n'est pas le seul endroit où ce genre d'apprentissage est nécessaire. Quand on rencontre une personne qu'on ne connaît pas, on doit apprendre son nom, et celui-ci est arbitraire, du moins pour ceux qui ne font pas partie de sa famille. Frédéric aurait pu s'appeler Henri ou Laurent. Pour tous les apprentissages de ce genre, on doit utiliser son énergie propre pour que le fait arbitraire soit gardé dans la mémoire. La "colle mentale" coûte cher, et par conséquent, ces apprentissages demandent beaucoup d'énergie.

 

Non seulement ils sont chers, mais ces apprentissages ont pour caractéristique d'être très fragiles. Nous savons tous à quel point nous avons des difficultés pour nous souvenir de ce type de fait. Même si nous faisons un véritable effort pour nous souvenir, nous sommes souvent pris au dépourvu. Il arrive souvent que l'on reconnaisse un visage, sans pouvoir trouver le nom de la personne. Sans parler de l'oubli de ce qui a été appris à l'école. Combien d'heures d'histoire a-t-on suivies à l'école? Et combien de cette histoire reste quelques années après? Nous oublions en très peu de temps la plupart de ce qui est mémorisé.

 

Mais il existe une autre manière de fonctionner, que Gattegno a appelé la rétention. La rétention consiste en la réception d'images sensorielles. Quand nous regardons, que ce soit une rue, un film, une personne ou un beau paysage, des photons quittent ce que nous voyons pour entrer dans nos yeux et frapper notre rétine. Quand on écoute, on fabrique des images auditives qui font que l'on puisse se rappeler ce que l'on a entendu. On n'a pas besoin de payer pour retenir de telles images. Elles entrent en chacun de nous très facilement et restent très longtemps.

 

 Il m'est arrivée d'aller, par exemple, dans un petit village dans le sud de la France que je n'avais pas visité depuis vingt ans, et de pouvoir dire: "Ah, oui, je sais. La pharmacie est là-bas, derrière la boulangerie",  j'y suis allée, et elle y était. Je n'avais jamais cherché à mémoriser cette place de village.  Tout simplement, elle s'est introduite en moi lors de mes visites successives, et elle y est restée. Elle a été retenue.

 

Je vais dans un supermarché et me promène dans les travées. Je vois une dame avec son caddy. Trois travées plus loin, là voilà de nouveau et je la reconnais. Je n'ai pas cherché à me souvenir d'elle. Je la vois, et je peux la reconnaître une nouvelle fois un peu plus tard. Quand je fais ma liste de courses - j'ai besoin d'une liste parce que ce que j'achète est arbitraire d'une journée à l'autre - j'utilise mes images retenues pour vérifier la liste contre mes images du supermarché. Cette capacité me permet de savoir également dans quel magasin je dois aller pour tel ou tel achat.

 

Ce système de rétention est extrêmement efficace. Nous nous rappelons de vastes quantités de choses avec une facilité extrême, simplement parce que nous les avons vues, entendues, senties, ou goûtées. Cette faculté fait partie de notre nature humaine. C'est elle qui nous permet de nous promener dans notre ville sans nous perdre, de faire du ski, ou de lire un livre.

 

Par conséquent...

Logiquement, l'éducation devrait être fondée, non pas sur la mémorisation, qui coûte très cher en énergie et qui est très souvent défaillante, mais sur la rétention. La rétention ne coûte rien et le taux de réussite à long terme est très supérieur. Un apprentissage efficace sera toujours basé sur la rétention à chaque fois que ceci est possible, c'est-à-dire, presque toujours.

 

Petit tests pour enseignants : Des révisions sont-elles nécessaires dans votre classe ? Les savoir-faire sont retenus et n'ont pas besoin d'être révisés...

 Vous arrive-t-il de faire apprendre par coeur des listes de vocabulaire et de verbes irréguliers ?

 

Bibliographie

Gattegno, Caleb. The Common Sense of Teaching Foreign Languages, New York: Educational Solutions, 1976

Young Roslyn et Piers Messum. Comprendre l’apprentissage pour mieux enseigner, UEPD, Besançon, 2013

 

D'autres informations sont disponibles sur Internet :

http://www.actualis-formation.fr/

http://www.pronunciationscience.com/